mardi 21 septembre 2010

La suspension d’interaction

Une autre technique de narration dans le jeu d'aventure consiste à brider l'interaction par moments. Mais c'est prendre un gros risque. Le joueur peut avoir du mal à comprendre pourquoi une interactivité lui est proposée si la conclusion s'impose quoi qu'il fasse. De nombreuses phases de jeu proposent pourtant ce système de fausse interactivité. Le boss de fin qui apparaît en début de partie est en fait invincible (Ramirez dans Skies of Arcadia), ou la nuée d'ennemi trop importante (Shenmue 2). Le joueur se débat, mais il sent que le jeu lui ment. Au final, que le joueur attende sans rien faire ou qu'il se batte comme un beau diable, la conclusion est la même. Tel est le cas récemment dans l'une des dernières scènes de Red Dead Redemption. Jusqu'au dernier moment on laisse au joueur la possibilité de se battre, mais quoi qu'il arrive la narration est déjà là, sous-jacente, et qu'il soit bon ou mauvais manette en main, elle s'impose à lui à un moment où on lui a enlevé arbitrairement le droit d'interagir réellement.

Je serai tenté de dire que si "le contrat" narratif du cinéma et du théâtre interdit de franchir le 4ème mur , "le contrat" interactif devrait interdire cette technique de narration. Si l'on veut imposer une histoire au joueur, une cinématique suffit.

Alors certains diront que l’immersion est d’autant plus forte que l’action est jouée jusqu’au dernier moment. Soit, mais cette interaction ne peut avoir de sens que si l’on a vraiment laissé le joueur libre de ses choix (qu’il a donc consciemment déclenchée la situation) et qu’il reste une chance même infime de réussir. Pour exemple, dans le didacticiel de Demon’s Souls, le joueur rencontre un énorme boss qui le tue en un coup. Pourtant la possibilité lui est donnée s’il est extrêmement bon de tuer cet ennemi. Dès lors il rencontre ensuite un ennemi qui finira par le tuer mais cela sera cette fois joué par une cinématique.


A contrario, imposer une interaction pour dicter un élément narratif sans le consentement du joueur est vraiment un crime de Lèse Jeu vidéo. Il en va notamment pour tous les QTE qui émaillent des jeux d'aventure comme Shenmue ou Heavy Rain. Leur existence ne peut être pertinente qu'à la condition express que leur échec apporte une modification dans la narration. Si le QTE raté ou réussi aboutit sur la même conclusion, alors il ne sert à rien.

Dans RDR cette fameuse scène est édifiante (attention spoiler !). Le personnage réfugié dans la grange permet à ses proches de s’enfuir par la porte de derrière. Cela est joué par une cinématique. Le joueur serait tenté de se faire la malle lui aussi, mais non, le personnage va à la rencontre de ses ennemis, vers une mort certaine, sans que le joueur ne contrôle quoi que ce soit, si ce n’est au moment où se déclenche le duel perdu d’avance. Par réflexe, le joueur tente tout de même de se défendre, mais il est défait. Sur le coup la sensation de se débattre, de combattre coûte que coûte même dans un dernier râle est bien retranscrite, mais rétrospectivement, le joueur a quasi instantanément la sensation d’être trahi. Il n’avait aucune chance de s’en sortir et pourtant on l’a obligé à jouer cette séquence. Ce qui est d'autant plus frustrant que le joueur a rencontré maintes fois un nombre d'ennemi bien plus important qu'il a réussi à battre...

À sa décharge, Rockstar, comme tous les grands créateurs, a su enfreindre une règle pour mieux véhiculer ce qu’il voulait exprimer. Cette scène qui voit la mort du héros est vécue, de par cette obligation de jouer une situation interactive perdue d’avance, comme une énorme source de frustration. Le joueur est gagné par un sentiment de colère, et une réelle volonté de vengeance, ce qui est alors parfaitement en adéquation avec les motivations du jeu qui place alors le joueur dans la peau du fils lui-même animé par cette volonté de vengeance. Mais c'est tout de même une immense prise de risque. Les forums pullulent d'ailleurs de joueurs en colère contre cette fin qui leur a imposé la mort du héros, l'interaction proposée ne faisant qu'engendrer un sentiment d'impuissance désagréable.

Attention cette vidéo dévoile une partie de la fin du jeu !

1 commentaire:

  1. Il est vrai qu'on a aimé le charisme du personnage principal, fort travaillé comme toujours chez Rockstar, mais le monde du farwest est très violent et dur et je trouve que cette fin sied à l'histoire... De plus l'alternative proposée après, le fait de pouvoir continuer l'histoire apporte une touche d'originalité bienvenue et assez rare pour ce type de jeu AAA. Très franchement, j'ai trouvé que c'était vraiment bien vu.

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