Dans de nombreux jeu de rôle, notamment occidentaux, on propose au joueur d’expérimenter son libre arbitre.
Mais les possibilités offertes sont souvent manichéennes et le simple choix d’un alignement (bon ou mauvais) conditionne ses actes. Finalement, de choix en fait, il n’est rapidement plus question puisque le respect de l’alignement est souvent la condition sine qua non pour atteindre les compétences maximales de son avatar. Un jeu comme Fable ne propose donc en aucun cas de faire des choix. Il laisse seulement au joueur la possibilité d’être gentil ou méchant. Un choix binaire en somme, d’autant que l’alignement neutre qui amènerait un équilibre des actions bonnes et mauvaises n’est jamais valorisé.
Cependant dans certains jeux, les conséquences des actions sont plus subtiles, elles prennent en considération le contexte, la psychologie des PNJ, et ce qui pourra être vu comme un acte positif pour l’un pourra choquer un autre. C’est ce que proposent des jeux aussi variés que Sakura Wars ou Mass Effect. De nombreux dialogues à choix multiple mettent le joueur devant ses responsabilités, il doit improviser, imaginer ce que le PNJ peut ressentir selon son état d’esprit.
Le joueur entre dans une phase de role play intéressante, malheureusement ce processus est très vite contrarié par un élément inhérent au jeu vidéo : la quicksave. La conséquence des choix du joueur est la plupart du temps immédiatement matérialisée, « vais-je à gauche ou à droite ? », -quicksave- je tente à gauche : « oh mon dieu c’est le dragon invincible de la mort », -quickload - , « bon je vais tenter à droite en fait…»
Dans Sakura Wars, toute réponse est suivie d’une petite musique indiquant si la jeune fille que l’on tente de séduire a apprécié ou non notre tirade… La quicksave est là aussi disponible et elle finit par ruiner -pour qui l'utilise- toute prise de responsabilité et tout feeling role play. Le joueur entre dans une phase de gameplay d’expérimentation. Il tente parfois au pif, au culot. Il n’y a pas de conséquence négative possible alors pourquoi se priver ? Merci la quicksave…
L’idéal pour un jeu de rôle serait donc de proposer une unique sauvegarde avec obligation de l’écraser à chaque nouvelle sauvegarde. Malheureusement, c’est prendre le risque de bloquer le joueur s’il sauvegarde juste avant une situation inextricable ou pire, devant un bug bloquant non corrigé.
Mais il convient d'admettre que la quicksave a bon dos. L'expérimentation du choix proposé dans de nombreux jeux est malheureusement beaucoup trop réductrice. Comme dit précédemment, le joueur se contente souvent de suivre son alignement valorisé par des systèmes de compétences (Mass Effect) ce qui bride la possibilité de faire librement de vrais choix.
Fahrenheit en son temps proposait lui aussi un reward de comportement qui amenait le joueur à faire des actions non par envie mais par volonté de gagner des points... Heavy Rain a intelligemment abandonné cet aspect très jeu vidéo pour que le joueur fasse ses choix sans subir la moindre pression de la part du gameplay.
Cependant la seule solution qui permet de court-circuiter l'expérimentation à court terme des actions possibles, et par là même le fâcheux syndrome quicksave, réside dans le principe de la conséquence différée. Ce procédé est parfaitement maîtrisé dans le jeu de Obsidian Alpha Protocol. Le libre arbitre du joueur est régulièrement mis à l'épreuve dans des situations où ses choix n'ont aucune visibilité à court terme.
Non content d'expérimenter le doute, le joueur se voit obligé d'assumer des choix dont il ne verra la conséquence que de nombreuses heures de jeu plus tard. Était-ce une bonne chose d'avoir épargné le Cheik Chaheed ? La journaliste Scarlet est-elle digne de confiance ? L'agent Mina n'est-elle pas un agent double ? Toutes ces questions ne trouvent de réponses qu'en progressant dans une histoire que le joueur a finalement l'impression d'écrire avec le sentiment d'être le seul responsable de la situation dans laquelle il se trouve.
Ce procédé, assez rare dans le jeu vidéo, paraît pourtant assez pertinent. Il faudrait même aller plus loin dans son expérimentation, montrer comment des choix perçus comme négatif à un instant T peuvent aboutir sur des conséquences positives à moyen terme. C'est cela le libre arbitre : faire des erreurs, risquer le conflit, quitte à vivre de réels échecs qui ouvriront finalement sur de nouvelles opportunités. Tout le défi du jeu de rôle de demain tend à réifier ce genre d'expérience, pour que l'expérimentation du choix propose enfin une narration interactive digne de ce nom.